Le Conquet: Ar Ru Vras - La Grande Rue
⌘ La danse des pois
Madame Madec, une vieille et même très vieille épicière de Pont-Croix, était si âgée que, alors malade, elle dut engager une aide pour pouvoir tenir son commerce.
Pour ce faire, elle embaucha une jeune demoiselle des environs qui vint d'abord à temps partiel comme il est dit maintenant, puis à temps plein avec les mois allant.
Sincère et honnête, la jeune fille tenait bien son rang et l'épicerie marchait toujours bien. Elle était avenante, courtoise et bien agréable au regard ; cela ne pouvant qu'améliorer le commerce. Ayant tout confiance en elle, Madame Madec se retira alors ed plus en plus lui laissant de plus en plus tenir les rênes car maladie, travail, fatigue et âge avaient beaucoup affaiblis la vieille épicière.
Un beau matin ensolleillé, un paysan des environs vint acheter des petits pois pour les semences à venir, ou, peut-être pour sa consommation personnelle.
Comme il se pratiquait alors, les pois étant vendus au poid. Contrairement à notre époque, le pochon en papier, sac recevant l'achat, était intégré après mesure de la masse ; n'avez-vous toujours pas remarqué que votre kilogramme de raisin intègre le poids du sac qui vous est alors facturé au prix du raisin ?
À l'ombre du clocher de Pont-Croix en 1927
La vendeuse, comme il était d'usage, versa donc des pois dans l'écuelle de la balance et, avec stupeur, remarqua qu'ils se mirent à danser, gigoter, sauter dans tous les sens, comme fous; les pois semblaient danser une gavotte de la famille des
Fabacae et style
Pisum sativum !
La surprise de la vendeuse fut totale. Elle exclua immédiatement une farce de l'acheteur qui, à la manière bretonne, se tenait à distance du comptoir, bras croisés, comme la politesse bretonne le demande ; celui-ci était d'ailleurs aussi stupéfait que la vendeuse !
La danse durant plusieurs minutes et fut telle que l'acheteur, refusant de prendre ces pois ensorcelés, quitta la boutique sans les emporter.
La demoiselle s'empressa alors d'aller dans l'arrière-boutique pour conter cette mésaventure à Madame Madec qui, juste à l'instant, venait de passer en Anaon et avait rendu l'Âme.
Doue d'he fardonno !
L'Ankou était passé et c'est son pas macabre qui fit danser les pois.
Poussant vos caddies dans les supermarchés, l'œil blasé si ce n'est glauque, dans les cœurs de ces temples de la consommation, vous avez perdu ce sixième sens, ce sens vous permettant de percevoir le surnatuel, de percevoir le passage de l'Ankou, de ressentir ces intersignes annonçant quelques évènements heureux ou malheureux et cela est bien triste...
Si vous savez revenir à l'Humain, si vous apprenez à écouter, si vous vous entraînez à ressentir l'autre, les autres, alors, vous saurez à nouveau percevoir les intersignes...