Ce 15 juillet 1944, le régiment de Normandie est basé au nord-ouest de Smolensk ; il prendra part à l'offensive de Biélorussie qui a débuté le 23 juin 1944.
En ce 15 juillet 1944, suite à Libération d'Orel, le régiment de Normandie doit quitter sa base de Doubrovka pour se rendre à l'aérodrome de Mikountani, en Lituanie. Maurice ne se doute pas que ce 15 au soir, lui et son ami et mécanicien, Volodia, seront passés de vie à trépas.
Le 22 juin 1941, un samedi, aux aurores, les allemands lancent l'opération Barbarossa et pensent vaincre ces Peuples qu'ils considèrent comme des sous-hommes. Attaquant l'URSS, les nazis déchirent le Traité de non-agression dit Pacte Ribbentrop-Molotov.
Ce pacte, dénoncé par nombreux comme collaboration entre les soviétiques et les allemands, présentait un avantage majeur pour les parties:
Vichy et Moscou rompent leurs relations diplomatiques: les soviétiques expulsent les diplomates de Vichy. Charles Luguet, lieutenant-colonel, parlant couramment allemand, anglais, russe, attaché de l'Air à Moscou, voulant rejoindre la France Libre, profite de l'escale à Istanbul pour prendre la poudre d'escampette et rejoindre Charles de Gaulle.
La ville d'Orel ayant été débarrassée des hordes nazies, la Normandie, 61 pilotes et 55 avions en mai 44, doit quitter son aérodrome de Doukravka, oblast de Smolensk, pour le terrain de Mikountani, en Lituanie ; l'offensive soviétique en Biélorussie, fulgurante, impose des changements de terrain pour suivre l'avancée du front. Les vols doivent être relativement tranquilles car l'allemand est en déroute.
Le Yak monoplace de de Seynes décolle sans problème: à son bord, de Seynes et, bien que cela soit interdit mais d'usage courant, derrière le siège, dans le coffre à bagage du poste de pilotage, le maître mécanicien Vladimir Biélozoub, rude paysan russe du village de Pokrovskoye, près de Dnepropetrovsk. Les Yaks, monoplaces, n'ayant qu'un parachute, le passager en est dépourvu.
Le décollage se fait sans problème.
Cinq minutes après décollage, des allemands mitraillent le yak volant en rase-mottes ; une balle sectionne une durite d'arrivée d'essence ; le cockpit est noyé dans les vapeurs de carburant, le pare-brise, inondé de kérosène, devient translucide: de Seynes est aveugle...
Aidé de son ami, il arrive à retourner vers le terrain d'aviation à l'aveugle ; tente de s'y poser sans aucune visibilité par trois fois, puis s'écrase: pilote et passager sont éjectés de l'avion et meurent sur le coup.
La radio fonctionnant, de Seynes avait bien enregistré et reçu le message de ses supérieurs lui ordonnant de prendre de l'altitude puis sauter en parachute. Les échanges radios précédant cet accident confirment que le capitaine Maurice-Henri-France de Seynes refusa catégoriquement cet ordre condamnant son mécanicien et ami. Il l'accompagnera sans hésiter dans la mort.
Les deux inséparables amis seront enterrés à Doubrovka dans la même tombe.
Le 14 juillet, nous avons reçu ordre de nous redéployer. Le 15, le temps est gris et couvert, les nuages bas. L'air est collant et humide. Nous devons rejoindre l'aérodrome de Mikountani, entre Vilno et Lida.
La 1° Escadrille, commandée par Pierre Pouyade, décolle et disparaît à l'horizon, à basse altitude. La 2° escadrille s'élève dans les airs sous le commandement du Pierre PouyadeCapitaine Yves Mourier. C'est notre tour. Je démarre le moteur, dont mon fidèle Lokhin (NDLR: Nikolaï Petrovitch Lokhin, 1911-1982) s'occupe avec tant d'amour. Les mécaniciens nous traitent avec un sentiment d'amitié touchante. Il faut voir leurs visages, leurs yeux brûlants, leurs sourires heureux quand on leur annonce nos victoires. Ils sont plus heureux que nous. Mais quand l'un des nôtres ne revenait pas, nous devions souvent le voir se retirer pour crier sa douleur.
Tout est prêt.
Le 3° Escadron décolle maintenant.
Mais qu'est-ce que c'est ?
Soudain, une des unités de la 2° escadrille apparaît sur un vol de mitraillage. Nous essayons de voir les plaques d'immatriculation sur les voitures. Ce sont les avions de Seynes et Lebra. Lebra atterrit assez calmement, mais de Seynes tourne, impuissant, au-dessus de l'aérodrome, comme s'il ne le voyait pas. Et puis nous remarquons comment une bande blanche de fumée s'enroule le long du fuselage ; il n'est pas difficile de déterminer qu'il s'agit d'une fuite d'essence.
Le major Delfino accourt vers le micro et répète avec insistance:
- de Seynes, saute ! de Seynes, saute !
- Mon commandant, de Seynes a son mécanicien, le sergent Biélozoub, dans la partie arrière du fuselage !
Le visage du major se fronce instantanément. Il comprend quelle tragédie se déroule maintenant dans les airs et s'éloigne de l'émetteur. La vie de de Seynes ne lui appartient plus. Bien sûr, de Seynes peut toujours se sauver en sautant avec un parachute, mais cela signifie une mort certaine pour le mécanicien. La décision appartient aux Russes. Un des officiers soviétiques, déjà été informé de l'incident, arrive en courant. Il crie dans le micro:
- de Seynes, saute ; c'est un ordre !.
Mais le lieutenant de Seynes continue de se battre pour la vie du sergent Biélozoub. Il fait de son mieux pour faire atterrir son avion mais n'y parvient pas.
L'avion s'élève dans le ciel comme une bougie, tombe sur l'aile, roule sur le dos, plonge, se stabilise et, se dandinant d'un côté à l'autre, se précipite vers la piste, mais va soit en travers soit en biais, mais pas le long l'axe. De Sein ne voit pas la piste et est bien conscient qu'il ne pourra pas atterrir normalement.
Il met les gaz ; le Yak se cabre, nez vers le ciel.
L'image est terrible !
Pour la dernière fois, dde Seynes tente de faire atterrir l'avion à l'aveuglette.
L'avion fait alors une chandelle, roule sur le dos, heurte le sol et disparaît dans d'immenses flammes à quelques centaines de mètres de nous.
Pâles et silencieux, nous avons assisté à cette terrible tragédie. L'acte de de Seynes, qui a refusé de sauter avec un parachute simplement parce que cela n'a pas sauvé son mécanicien, est l'un des actes héroïques les plus étonnants dont nous ayons été témoins pendant cette guerre. Le cœur serré de chagrin, mais plein de fierté que le Français soit monté si haut dans son courage, nous avons regardé sa lutte dans un silence complet. J'ai perdu un ami proche avec qui j'ai étudié toutes les années au Lycée Saint-Louis et préparé ensemble l'admission à l'école de pilotage. Il était sur le point d'être promu capitaine. Même ce matin-là, j'ai déjeuné avec lui. de Seynes était une nature sensible et noble, modeste et simple.
Dans l'ordre de la division et dans l'article publié dans le journal de première ligne, l'exploit de de Seynes a été particulièrement souligné. Il a été cité comme exemple le plus convaincant de l'Amitié liant le Régiment de Normandie et l'Armée de l'Air Soviétique.
Deux heures après ce drame, sur l'aérodrome de Mikountani, le régiment, en formation solennelle, a honoré la mémoire du lieutenant de Seynes et de son mécanicien, le sergent Biélozoub, par une minute de silence.
Ainsi une vieille famille française, à plusieurs milliers de kilomètres, perdait son fils unique.
L'amitié sincère liant de Seynes, dandy affirmé, et Biélozoub, paysan russe affirmé fut remarquable et remarquée de tous.
Après guerre furent publiées deux lettres imputées aux deux amis mis, les lire nous laisse un fort parfum journalistique. Cela n'importe peu, ces deux lettres sont reflet de l'amitié unissant ces deux hommes: le dandy parisien dont la vie tient à la fidélité et dévouement du paysan russe.
Quel beau témoignage néanmoins !
Le Général Gueorgui Nefiodovitch Zakharov rencontrera la mère de de Seynes bien des années plus tard. Elle lui dira:
- Mon général ! Maurice était mon fils unique, mon espoir, ma consolation. Avec sa mort, la dernière branche d'arbre de notre famille s'est brisée. Mais je ne voudrais pas une autre mort pour mon fils.
Peu après guerre, elle demandera aussi que le corps de son fils soient rapatrié. Le gouvernement soviétique se chargera de cette opération et Maurice de Seynes sera inhumé au cimetière de Bagneux, 37° division.
L'Union Soviétique érigea plusieurs stèles à la Mémoire des pilotes du Normandie-Niemen, dont celle de Doubrovka illustrant cette page. Les autorités soviétiques puis russes ont toujours parfaitement entretenu ces stèles ainsi que les tombes des soldats français morts au combat sur le front de l'Est.
Le 8 août 2015, rue Lezhnevskaya sur la place devant l'école N° 56, un monument à la mémoire de Maurice-Henri-France de Seynes et de Vladimir Léontiévitch Biélozoub fut inauguré à Ivanonvo, ville où fut constitué le régiment aérien.
Ce monument, un majestueux bronze réalisé par Vladimir Surovtsev, sculpteur de Russie, fut financé par une collecte de fonds auprès des citoyens d'Ivanovo, de la Fédération de Russie, d'Allemagne et de France. Elle fut dévoilée en présence d'une délégation du Normandie-Niemen, toujours existant, des habitants d'Ivanovo et de nombreux officiels de l'Oblast.