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Bréhan
Anecdote locale

Brehan-Loudieg

Brehan-Loudieg
( Bréhan )
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Bréhan

■ La Croix des Chouans de Bréhan

En ce 9 octobre 1799 à Bréhan, hameau de la Touche-d'en-haut, en Porhoët et Morbihan, les bleus, au service d'une sanglante République, arrêtèrent quatre jeunes chouans à qui ils promirent la vie sauve. Ceux-ci s'étant rendus, ils furent ligotés.

Viles brutes avinées, les bleus saccagèrent et pillèrent alors la maison de Pierre Rouxel, paysan aisé exploitant des biens nationaux. Occupé à récolter son blé noir, il accourut au bruit pour se retrouver ligoté derechef par les soudards ; la troupe rentra alors à Josselin pour, deux jours plus tard, être transférée de Josselin à Vannes. Le transfert ne se déroula comme prévu...

Laissons Jules Le Falher nous rapporter les faits.



Bréhan

Bréhan
  • Français: Bréhan
  • Breton: Brehan-Loudieg
    ( Brezhoneg )
  • Population: 2 298
    Gentilé: Bréhannais
  • Type:
  • Superficie: 51,65 km²
    Densité: 44.49 hab/km²
  • Latitude: 48°4'41" N
    Longitude: 2°41'11" W
  • Latitude: 48.061274" N
    Longitude: -2.686450
  • pages: 17

⌘ La Croix des Chouans de Bréhan

Ce jour-là, le 9 octobre 1799, à la Touche-d'en-haut, dans la paroisse de Bréhan, on ramassait le blé noir.


Grenadier et voltigeur en 1808

Il était midi ; et les douze coups avaient dû sonner à l'horloge du fermier Pierre Rouxel, puisque l'aire tout à l'heure remplie était devenue déserte, et que les batteurs attablés avaient commencé leur repas. On mange bien à la campagne pendant que la moisson dure, et Rouxel qui n'était pas pauvre traitait, j'imagine, ses ouvriers grassement.

À vrai dire, pourtant, tous les écus du fermier de la Touche ne se trouvaient pas dans ses coffres ; la terre qu'il cultivait était bien national ; et les Chouans, qui chez lui se considéraient un peu comme chez eux, l'avaient, dans le temps passé, dévalisé plus d'une fois. On a beau, quand ces gens-là vous tiennent et qu'on s'appelle Rouxel Pierre, jurer tous ses grands dieux que Cailly de Josselin a acheté la Touche, les Chouans, eux, n'entendent point de cette oreille-là, et ils vous soutiennent sabre au poing qu'ils n'en connaissent qu'un propriétaire, et que ce propriétaire s'appelle M. Le Moyne de Talhouet.
Alors il n'y a qu'une chose à faire, c'est de leur payer le fermage qu'ils réclament si peu tendrement.

Mais ce jour-là, les Chouans étaient bien loin, et M. de Talhouet, et les nationaux, et les pilleries ; et dans la ferme joyeuse le dîner se prolongeait, bruyant, à l'odeur pénétrante de la paille de blé noir, qui entrait par la fenêtre avec les rayons du soleil encore chauds.

Or dans ce bruit du dedans quatre hommes s'approchaient silencieux, rasant les murs ; on eût dit des paysans à leur costume, si leurs armes et leur démarche n'avaient trahi des insurgés. Trois se laissent tomber comme épuisés sur la paille éparse de l'aire à battre, le quatrième, fusil en main, pénètre dans la maison.

Un instant s'écoule, rien qu'un instant, et puis tout à coup des cris éclatent violents, furieux, tout près ; ce n'est pas de la ferme qu'ils sortent, c'est de partout ; il y a des soldats et des gendarmes de tous les côtés. Les chouans étaient debout déjà ; surpris ils hésitent ; l'un s'enfuit qu'on arrête, l'autre bondit hors de la maison qui braque son fusil et qui va faire feu ; on lui crie : c'est inutile, vous n'avez qu'à déposer les armes, il ne vous sera pas fait de mal. Les fusils s'abattent, ils tombent des mains, on ligote sans résistance les vaincus ; et enivrés d'un si facile triomphe les Bleus se ruent à la curée.

En un clin d'oeil la Touche est prise d'assaut, les armoires sont forcées, les lits éventrés, tout ce qui peut entrer dans la bourse des pillards en prend le chemin, le linge et la toile se fourrent dans les sacs ; on vole aux maîtres, on vole aux domestiques ; et quand, radieux et satisfaits, les soldats franchissent le seuil, il ne reste plus rien derrière eux.

Seulement devant eux surgit Pierre Rouxel, qui, attardé dans ses champs, revient avec une charretée de blé noir pleine : au bruit il est accouru ; on ne lui laisse pas le temps de la colère : Qui es-tu ? est-ce toi le maître de la maison ? - Oui, je le suis. - Alors tu es de bonne prise. Vite on le saisit, on le pousse, on l'entraîne ; et la foule hurlante des Bleus, avec ses insurgés et son paysan qu'elle entoure, disparaît derrière les halliers dans la direction de Rohan.

Je dois dire ici que cette histoire de Chouannerie, qui commence une foule d'autres, n'aurait pas surpris chez nous et n'y serait pas restée dans le souvenir, n'était la manière dont elle se termina.

Le lendemain 10 octobre, les Chouans de la Touche furent conduits à Josselin ; le surlendemain 11, on les dirigea vers Vannes par Ploërmel ; nous approchons du dénouement.

Donc ce 11 octobre, une petite troupe cheminait sur la route qui de Josselin mène vers Ploërmel, un de ces soldatesques convois, aviné et tapageur, au passage desquels les paysans épouvantés fermaient leur porte et s'enfuyaient bien loin : 15 hommes de la 6e demi-brigade aux ordres du sergent Pouet, 5 gendarmes de Rohan, 2 chasseurs à cheval, et au milieu de cette escorte, les cinq prisonniers tous enchaînés, sauf Pierre Rouxel à qui on avait laissé les mains libres.

Le pays est montueux, mais découvert : l'heure n'est pas aux embûches, puisque midi sonnait quand on quittait Josselin. Mi-Voie est passé ; on est arrivé à 500 mètres de la croix de Beaumanoir ; on marche encore sur ce terrain qui fut rougi du sang de la vaillance bretonne, à tout jamais illustré par la commisération des grands pour les petits et des forts pour les faibles ; c'est un repli où des chemins creux aboutissent sur la grand'route encaissée, avec là-haut la vieille croix des Trente que la Révolution respecte, et dans le fond un coin de la lande inculte et silencieuse ... La troupe s'arrête dans cet endroit : il y eut un coup de fusil tiré d'abord, puis une décharge de plusieurs coups ensuite, et les cinq prisonniers de Bréhan n'allèrent pas plus loin.

Sur ces entrefaites passèrent des voyageurs qui aperçurent cinq cadavres allongés, dont quatre encore couverts de chaînes, et les soldats rangés tout autour durent s'écarter pour laisser la voie libre. Personne ne voulait toucher à ces morts baignés de sang parmi leurs assassins, et on s'écartait d'eux avec horreur. Enfin un fermier de Brangohian, le village voisin, se chargea de les enlever et de les transporter sur sa charrette jusqu'au cimetière de Guillac où ils furent inhumés. On ne mit pas de noms sur leurs tombes, parce que dans ce temps-là il n'était pas permis d'élever des croix, et qu'on jetait dans les coins les corps des assassinés afin qu'ils fussent oubliés plus vite. Ceux de Mi-Voie s'appelaient : Pierre Rouxel, de Bréhan, 34 ans, - Marc Barclé, de Plumieux, 21 ans, - Cyprien Raulo, de Bréhan, 21 ans, - Joseph Hautin, de Loudéac, 22 ans, - Guillaume Huet, de Plessala, 22 ans. Ces Chouans étaient de la bande de Dujardin.


Chouan en sentinelle devant une Église
Peinture: Charles Loyeux

Voici maintenant l'épilogue de ce crime.

D'abord les soldats essayèrent de se justifier, en prétendant qu'attaqués par les Chouans, ils n'avaient pas voulu lâcher leur proie. Mais il ne se trouva personne pour les croire, et l'Administration condamna en termes sévères leur conduite indigne.

Pourtant elle se borna à des paroles de blâme ; et les gendarmes, qui avaient opéré la capture des insurgés n'en touchèrent pas moins leur droit de prise de 800 fr., qu'on alla prendre dans les riches maisons des alentours ; procédé qui n'était pas d'une exquise délicatesse, mais qui était conforme à la loi des otages. Et voilà comment payèrent pour les Chouans assassinés de Bréhan : Gourdan-Locmaria de Monterrein, la veuve Nourquer du Camper de Lanouée, la veuve Fabrony de Ploërmel, la veuve Béchennec de Brignac. Ainsi les braves gendarmes, héros de la Touche d'en haut, reçurent du moins quelques écus, à défaut de la croix d'honneur.

Quant à la famille de Rouxel elle réclama 3.000 fr. pour les dommages dont elle avait été victime, et elle ne majorait pas ses prix, parce que même sous la Révolution les assassinats se payaient fort cher.

Je crois qu'elle aurait dû demander bien davantage, et qu'on l'eût satisfaite ; elle avait de trop bonnes raisons pour cela.

Qu'était-ce en effet que ce malheureux Pierre Rouxel à qui les soldats brutaux et ivres qui le tuèrent avaient oublié de poser la question capitale, essentielle dans toutes ces guerres civiles, celle de la couleur de ses opinions politiques ? Était-ce vraiment un chouan que Rouxel ? Il est au moins permis d'en douter.

Lorsque son arrestation fut connue, la surprise fut universelle ; la municipalité de Rohan, qui n'avait jamais nourri de sentiments tendres à l'égard des insurgés, s'émut vivement et manifesta sa sympathie pour le prisonnier jusqu'à vouloir le visiter dans son cachot. Il est vrai qu'elle n'y put pénétrer et que les sentinelles l'écartèrent à coups de baïonnette ; mais enfin sa démarche n'en est pas moins significative.

Ce qui est bien plus caractéristique encore, c'est l'unanimité avec laquelle les parents et toutes les administrations cantonales ou départementales font ressortir les principes révolutionnaires de la victime, et c'est le silence de l'administration communale à son sujet.

La paroisse de Bréhan est foncièrement royaliste ; sa municipalité n'ouvre pas la bouche, elle laisse les autres parler.

Le 6 novembre, J.-M. Rouxel plaide près de la municipalité de Rohan en faveur de son frère, et il invoque le civisme que lui, son frère et les siens ont toujours manifesté par leur empressement à se rendre utile au gouvernement.

Six jours plus tard, le 12 novembre, ce sont les administrateurs de Rohan qui à leur tour écrivent que la famille Rouxel, loin de mériter les mauvais traitements qu'elle vient d'éprouver s'est toujours comportée d'une manière irréprochable et dans le sens du gouvernement. Ils ajoutent "que, pendant le chouannage, cette famille avait été victime de ceux qui causent encore aujourd'hui sa désolation", c'est-à-dire des insurgés. Enfin, comme dernière preuve de l'attachement de Pierre Rouxel à la chose publique, ils rappellent qu'il était fermier d'un bien national, qu'il avait un frère au service de la nation, et que ses autres frères avaient rempli toutes les charges à eux confiées depuis la nouvelle constitution.

Il est juste de remarquer que les hommes qui s'expriment ainsi sont des serviteurs incontestés de l'idée gouvernementale, dont la bonne foi ne doit pas être mise en doute et ne pouvait même se laisser ici surprendre, tellement il leur était facile de s'éclairer complètement.

D'ailleurs Gaillard de Vannes, lui aussi, semble avoir une opinion conforme à la leur et juger l'infortuné Rouxel comme une victime républicaine et innocente.

Alors que penser nous-mêmes de l'affaire de Mi-Voie sinon que les Bleus s'y trompèrent grossièrement, et qu'en égorgeant le fermier de la Touche, ils avaient tué un Bleu comme eux ? Or si le crime est toujours odieux, l'erreur qui le fait commettre le rend deux fois plus odieux, en le couvrant de ridicule.

À la place où les infortunés tombèrent, une croix se dresse aujourd'hui qu'on appelle la Croix des Chouans de Bréhan. Au coin de la lande silencieuse, elle tient encore debout, vieillie, branlante, lamentable, et les passants qui la saluent attristés, se demandent quelle générosité chrétienne se décidera enfin à la relever un jour.