Chaque Peuple, chaque Civilisation, chaque État est un grand vaisseau navigant sur les océans de l'Histoire. Menacé des périls et tempêtes, il est un jour ou l'autre drossé sur les récifs. Fatigué de sa plus ou moins longue navigation, il a ses membrures fragilisées par les ans ; ainsi, en leurs temps, l'Empire espagnol et portugais ; ainsi l'Empire français et anglais ; ainsi l'Empire russe...
En ce douloureux moment, paquebot en perdition, équipage et passagers coulent et disparaissent ou, s'accrochant à la vie, sauvent le navire puis le rebaptisent...
Le bateau soviétique heurta les écueils en 1991. Tous s'attelèrent et s'unirent pour sauver leur bâtiment et, malgré les requins venus à la curée pour dépecer et spolier, malgré les rats quittant le bord, ils édifièrent navire neuf, puis baptisèrent leur nouvelle nef du nom de Fédération de Russie, aussi connue comme Russie...
Nous nous étions quitté breton et soviétiques, plusieurs années aupravant. Malgré les évènements, les cables de l'Amitié et Confiance se renforçant avec les ans, nous nous retrouvions maintenant russes et breton en ces années 95.
Passé Moscou, puis le long trajet ferroviaire jusqu'à Saransk, je découvrais la ville pour la première fois par un beau matin sous le soleil de juillet. Boris Nikolaïevitch Eltsine alors Président, le pays, dans la tourmente et encore assommé par la chute soviétique, colmatait les brèches du navire et parait aux urgences.
Comme un homme ayant trébuché, tendant la main aux navires accourant vers les eaux du naufrage, il espérait aide sincère mais ne trouva que multiples spoliateurs apportant humiliation et œuvrant à dépeçage, pouvoirs et profits personnels.
Étourdie par le choc, éreintée de fatigue, Saransk apparaissait comme une femme échevelée, dépenaillée, hagarde. Les nouveaux quartiers restaient en plan et les chantiers semblaient à l'arrêt, devenant terrains vagues ou friches. Les habitants courbaient l'échine sous le poids des soucis et la violence de ce choc qui voyait moult politiques et citoyens d'un ouest collectif inconscient se réjouir et crier victoire ; victoire pyrrhique...
En cette année, bien des magasins de Saransk étaient déserts et leurs rayons vides, mais le marché voyait profusion de chalands et vendeurs dynamiques. Les circuits et réseaux commerciaux classiques ayant explosé, tout était à reconstruire. Les chaussées étaient souffreteuses, les usines vieillotes ou délabrées, à l'arrêt ou presque, les bâtiments demandaient peinture, la ville était vermoulue et les trolleys branlants, mais la joie de se retrouver effaçait les soucis du récent effondrement.
On pourrait se laisser aveugler par ce déprimant spectacle et penser que Saransk, comme le pays, allait se laisser sombrer dans les abysses océaniques de l'Histoire.
Cela était apparence pour qui ne ressent les pouls !
Dans le tréfond des cœurs et des tripes, dans les âmes et dans les sangs, bouillonnaient une vie, une résilience et une volonté sans pareil.
Au cours d'une discussion et échanges sur nos propres mondes, l'un de mes amis me spécifia qu'eux, russes, avaient besoin d'un Tsar, d'un Czar commandant le navire et montrant la route, quitte à le voir brandir le knout. Alors, me dit-il, le pays repartira de l'avant et, ayant cap, retrouvera Fierté, Honneur et Respect de soi.
Plusieurs années passèrent maillées de nos échanges réguliers avant de pouvoir retourner vers mes amis et ce Saransk dont j'apprécie l'âme.
Vladimir Vladimirovitch Poutine, Président exerçant alors son premier mandat, j'eus l'occasion de rejoindre ces amis, revoir les enfants devenus bien grands, et nous, insensibles au temps.
Je fus immédiatement impressionné par le renouveau de la ville.
Quitté femme négligée et fatiguée, je la retrouvais fraîche, pimpante, et regardant son avenir avec confiance. Les chantiers étaient terminés et multiples autres réalisés, des quartiers pavillonnaires avaient poussé dans la ville, les routes étaient impeccables et le parc automobile totalement renouvelé, les bâtiments rénovés. Lisma, l'usine d'ampoules, était passé des classiques ampoules à filament aux lampes à la pointe du progrès ; Saranskkabel, usine de cables en tous genres, modernisée, brillait comme un sous neuf ; Gorkovski Avtomobilny Zavod - Горьковский автомобильный завод tournait a plein régime et avait beaux carnets de commandes ; un document pour la Chambre de Commerce dont il me fut demandé de vérifier les textes était impressionnant: La ville avait retrouvé un cap et le suivait...
Le centre de Saransk était refait, multiples terrasses avaient fleuri, les magasins s'étaient multipliés, un zoo avait ouvert, le marché était toujours aussi achalandé et fréquenté, les magasins débordaient de modernité.
La ville était devenue superbe.
La Russie avait trouvé ce commandant lui donnant Cap, But, Espoir et Fierté...
Le paquebot russe navigait vers ses nouveaux horizons, à belle vitesse...
Multiples navires arpentent les océans.
Certains ont vu leur navire devenir grand vaisseau et, à juste titre, revendiquent routes maritimes ; d'autres, refusant la réalité des navigations actuelles, esquifs aux coques vétustes, poussent les chaudières et accélèrent, refusant de voir les récifs obstruant leurs horizons bouchés...