Né à Nantes le 19 juillet 1897, Guy-Marie-Vincent de Paul Bardoul est le fils d'Émerand Bardoul, maire de Marsac, Conseiller Général de Loire-Atlantique, alors Loire-Inférieure, pour le Canton de Guéméné-Penfao. Il fit sa rentrée 1913 au Collège Saint-Sauveur de Redon. Bachelier en 1915, il est incorporé au 49° Régiment d'Artillerie de Poitiers, régiment dans lequel il suivra sa formation militaire. Il part aux Armées en avril pour être affecté au 226° RAC nouvellement constitué ce 1° avril 1917, date à laquelle il apparaît pour la 1° fois dans l'annuaire de l'Armée française.
Le 226° RI est majoritairement constitué de jeunes soldats de la classe 17 et des derniers appelés de la classe 1916, tous n'ayant jamais été au feu. Pour encadrer ces bleus, des sous-officiers devant retourner au front et des hommes rappelés du front pour intégrer le 226° RAC. Les officiers blessés revenant des dépôts et des officiers mutés d'autres régiments.
Le 226° montera au front dans les Monts de Champagne, entre Auberive et Thuizy. Il y reste jusqu'au 27 juillet 1917, compte ses premiers morts et voit ses premières citations.
Le 6 août 1917 voit le 226° à Verdun, en batterie près de Douaumont et reste dans la région jusqu'au 22 septembre. Il est fortement éprouvé par les bombardement allemands au 380 pour le 1° groupe, et 420 pour le 2° ; sans compter les obus asphyxiants. Encore cité, il renouvelle la moitié de son personnel.
Hier soir, nous étions à jouer à la manille dans le gourbi quand les boches nous envoyèrent quelques obus, tout près. Alors , nous avons interrompu la manille. Les obus continuaient toujours à tomber, juste sur notre batterie : personne n'était très fier ; mais quand on a crié Barrage, nous sommes tous sortis du gourbi et avons tiré la pièce, malgré les obus, malgré les éclats qui pleuvaient tout autour.
On n'avait pas peur ; le chef de section et le sous-chef artificier nous aidaient et nous remontaient, faisant plus que leur devoir.
Nous tirions toujours, en nous baissant à plat ventre quand les obus tombaient. Malheureusement, à la seconde pièce,cela n'a pas été la même chose. Comme nous, ils tiraient, sans soucis de la mitraille, mais ils sont morts, victimes de leur devoir. Nous avions cessé de tirer quand un malheureux obus arriva en plein sur la 2° pièce, détruisant tout. Le sous-chef artificier avec beaucoup de sang-froid se précipita pour voir s'il y avait du mal et revint en disant: Poiraton est à moitié enterré, couvert de sang, il vit encore.
Je n'hésite pas, et cours vers Poiraton, le maître-pointeur de la 2° pièce. Il gît sous des sacs de terre, près de l'abri aux munitions qui sautent. il faut donc l'enlever de là tout de suite. Mais, auparavant, à côté, un homme est couché qui a l'air mort ; mais, peut-être, lui reste-t-il encore un peu de vie. Je mets l'oreille près de son cœur, pour voir s'il bat encore. : plus rien, il est mort. Alors je défais je découvre le plus vite possible les sacs de terre qui recouvrent Poiraton. Celui-ci me reconnaît bien et me dit: Bardoul, c'est toi ? je lui demande s'il souffre et s'il a quelque chose de spécial à me dire. il me répond: Non, pas trop. Écris à mes parents, à Grasse...
J'enlève toujours les sacs à terre et les caisses à fusées pour déterrer ce pauvre camarade, en appelant au secours car je ne pouvais pas le porter seul. Le trompette m'entend et arrive ; à ce moment, nous enlevons Poiraton tous les deux. Il se plaint de la jambe ; nous le transportons dans le couloir, à l'abri du feu qui brûle et des éclats qui tombent toujours. Nous l'étendons et lui mettons une caisse, avec un manteau comme oreiller. Pendant que le trompette reste près du blessé, je vais lui chercher un quart de café, seule boisson qu'il y ait et qui lui fasse plaisir.
Nous avions bien fait de l'enlever car à ce moment tombe un autre obus tout près, renvoyant le canon démoli à l'endroit ou était enseveli Poiraton : s'il avait encore été là, ça aurait fini de le tuer. Grièvement blessé à la tête, il perd beaucoup de sang ; après l'avoir déboutonné pour qu'il put respirer plus facilement, aidé du trompette, je lui fis un pansement le mieux possible. Mais nous sommes tous les deux, sans major, sans infirmier. cependant, un brancardier arrive et pendant qu'il reste près de Poiraton, je vais avec le trompette transporter le corps de l'homme mort, en qui nous reconnaissons le chef de la 2° pièce.
Nous l'emmenons un peu plus loin ; il est lui aussi blessé à la tête : nous la lui appuyons contre une caisse et je lui enlève ses affaires pour les porter au capitaine ; puis nous allons retrouver la sape des téléphonistes où sont les trois officiers.
Le capitaine pleure ; je m'approche de lui et lui dit: Mon capitaine, Poiraton est gravement blessé ; je l'ai déterré des sacs de terre sous lesquels il était et, avec le trompette, nous lui avons donné les premiers soins. Le Guelvout, le chef de pièce, est mort : Voici ses affaires. Le capitaine, très ému ne répond rien d'abord, et il me dit quelques instants après : Et les autres... ; je lui réponds que je ne savais pas où ils étaient.
Après un spectacle aussi épouvantable, j'étais heureux de voir que ma pièce n'avait pas eu de pertes. Ils ont été préservés ; à peine venaient-ils de tirer, car la pièce était chaude, et de se mettre à l'abri dans la sape, qu'un obus vint tomber sur l'abri à munitions, y mettant le feu.
L'aspirant, le chef de section, le chef de pièce m'ont dit que ce que j'avais fait était très bien ; le colonel du régiment est venu avec le colonel commandant l'artillerie divisionnaire, le capitaine leur dit que nous avions été admirables ; ils nous ont adressé leurs plus vives félicitations.
J'ai bien remercié le Sacré-Cœur et la sainte-Vierge de m'avoir protégé ; continuez à prier pour votre Guy.
Lettre du 22 juin 1917
Quelle soirée nous avons passé avant-hier !
Je me rappellerai toujours la nuit du jeudi 21 juin 1917, sur les pentes du Mont-sans-Nom en Champagne. Ce sera pour moi un souvenir ineffaçable, comme du reste pour tous mes camarades.
Je n'avais encore jamais vu un spectacle pareil, aussi beau et aussi tragique. Sous la mitraille boche, nous tirions quand même pour défendre nos fantassins: officiers et sous-officiers qui avaient fait la campagne n'avaient encore jamais vu cela ; les fantassins peuvent nous dire un grand merci ; la 2° pièce s'est fait tuer pour eux ; tous les servants, avec leur chef de pièce, un jeune brigadier plein d'avenir, de la classe 17 comme moi, sont morts à leur poste. C'est superbe !
Pour la 1° pièce, c'est miracle si elle n'a pas encore été démolie ; il faut en remercier Dieu qui, encore un fois, nous a protégés.
Lettre du 23 juin 1917
Guy fut envoyé à Fontainebleau pour y suivre des cours ; il y restera su 20 juillet au 16 août et bénéficiera d'une permission pour se rendre chez les siens. À son retour, se retournant vers Verdun, il sera victime d'un accident de train en gare de Chartres le 29 août 1917, à 6 heures du soir. Il comptait s'arrêter à Paris pour y visiter son frère, Emerand, caporal au 330° RI, qui grièvement blessé au Mont Cornillet, était en convalescence à Poissy.
Une cérémonie religieuse fut célébrée à l'hôpital mixte de Chartres le dimanche 2 septembre. Le cercueil de Guy, recouvert d'un drapeau tricolore, d'une simple croix de bois et d'un bouquet de fleurs offert par la supérieure, fut escorté par un piquet du 26°. Le Colonel du 26° RRAC ainsi que le commandant de la place de Chartres accompagnèrent le cercueil jusqu'à la gare.
Guy Bardoul sera inhumé le 4 septembre au cimetière de Marsac-sur-Don, en Bretagne.