La dernière lettre
Mon cher petit Père
Je suis heureux en ce jour de pouvoir t'adresser du fond de mon cœur mes vœux et souhaits de bonne fête.
Je sais que tu préfèrerais que tous tes gars soient là pour te les exprimer de vive voix, mais sois bien certain, là où qu'ils se trouvent, qu'ils ne t'oublient pas en ce triste jour qui devrait être si gai.
Les dures nécéssités de l'existence nous imposent ce triste moment ; soyons convaincus, cependant, que bientôt tous réunis, de notre franc sourire, nous ferons oublier à tous et à nous-mêmes ces mauvais passages.
Ce 24 juin 1915 ne se passera pas sans que les pensées de mon cœur et de mon âme te soient adressées, à toi, mon cher petit Père bien-aimé, qui sut faire de nous des hommes.
Sans penser à ce que nous sommes en ce moment, sois fier de tes enfants et de toi-même, car tu les as faits d'un moral et d'une santé assez élevés pour qu'ils puissent passer le plus aisément cette dure épreuve.
Tu as donc pour ta part contribué à nous donner une bonne chance de revenir. Nous saurons trouver les autres.
je souhaite que cette lettre t'arrive pour le 24, pour bien te marquer que nous pensons beaucoup à toi que nous aimons si tendrement.
J'espère que mon cher frère Baptiste, dans la dure épreuve morale qu'il traverse, ne doutera pas que nos pensées vont un peu vers lui aussi.
Ayons confiance qu'un jour proche nous retrouvera tous joyeusement réunis et que si nous avons raté nos fêtes de famille cette année, nous puissions faire celle du cœur et du bonheur de nous revoir.
Je t'envoie de ma tranchée nouvellement conquise, bien près des boches qui nous marmitent en ce moment, ces petites fleurs que j'ai cueillies à Hébuterne avant de partir.
Puisses-tu trouver dans elles l'expression de mes plus tendres sentiments affectueux.
Ton fils, Charlot