Landunvez: Année 1906: le port d'Argenton
⌘ Ar Gavell
Alors que leurs hommes étaient sur les bancs ou à pêcher en Islande, multiples femmes, rongées par les angoisses, ressentirent ces intersignes annonçant la Mort de leur mari, de leur père, frère ou fils ; certaines virent cet être cher qui, avant de définitivement quitter ce monde pour l'Anaon, ce lieu où résident les Morts, ce Bro ar Re Yaouank, là où le temps n'est plus. Certains, près la Mort, avant le grand voyage vers cet Anaon, venaient une dernière fois voir les leurs pour les prévenir et leur adresser un Adieu définitif.
Marie Gourioù était de celles-là...
Brieuc, le mari de Marie, était marin et pêchait sur les bancs de Terre-Neuve et en Islande. Il naviguait depuis bien des années malgré son jeune âge et, s'il arpentait les ponts depuis sa petite enfance, c'est à quatroze ans qu'il embarqua pour la morue, comme l'avaient fait les siens depuis tant d'années ; Brieuc était marin averti et déja vieux loup de mer...
Le jeune couple, viscéralement liés l'un à l'autre et promis dès la petite enfance, s'était installé à Maen gwenn - pierre sacrée, blanche en Paimpol. Un enfant était né de leur union, de cette union sacrée devant Dieu, devant les hommes, devant leurs âmes.
Comme chaque jour, son active et laborieuse journée terminée, Marie posait le berceau de leur petite fille dans son berceau et coinçait celui-ci sur le Bank-Tossel, ce banc placé au bord du lit-clos. Le lit-clos restait bien ouvert et Marie jetait mutiples regards sur son enfant nouveau-né.
Comme tous les soirs, Marie se coucha donc, bien fatiguée ; elle s'endormit rapidement de ce sommeil lourd lié aux lourds travaux journaliers.
Dormant depuis peu de temps - du moins elle le ressentit comme tel, elle se réveilla soudain, ayant entendu son enfant s'agiter dans le sommeil. Ouvrant les yeux, elle regarda le berceau avec ce regard tendre et plein d'amour si propre à certaines mères.
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Sa surprise fut totale en s'apercevant que la pièce était devenue lumineuse, d'une clarté inhabituelle venant de nulle lampe ou chandelle, une lumière lugubre et lumineuse, brillante et funeste. Marie ne la remarqua pas mais vit immédiatement un homme penché sur le berceau, un homme qui berçait doucement l'enfant en lui chantant une berceuse, cette berceuse que Marie avait tant entendu chanter par son mari, son Brieuc qui lui était cher !
Elle fut atterrée et sentit son cœur, son ventre, son âme se serrer d'un terrible et méchant sentiment ; le sentiment de l'Ankou. Un vent froid lui passa sur le cou ; elle frissonna...
Penché sur le berceau, un marin, capuche en tête comme se protégeant des intempéries, chantait doucement une berceuse à l'enfant ; cette berceuse que chantait Brieuc quand il n'était pas au loin, en mer...
Effrayée, Marie demanda à l'individu qui il était ; l'individu releva la tête et la regarda fixement.
Marie reconnut son mari !
Brieuc était là, devant elle, en chair et os, son ciré dégoulinant d'eau de mer et sentant fort le poisson. Elle fut étonnée de le voir si rapidement rentré de sa campagne morutière ; il était parti il n'y avait que peu de semaines.
Voyant que son homme ruisselait d'humidité, elle se pressa d'enfiler un jupon et se prépara à sortir du lit pour lui allumer une bonne flambée ; elle n'aurait pu que lui faire du bien.
L'étrange lumière envahissait toujours la maison, une lumière qui ne pouvait qu'être d'Anaon ; marie sentit ses entrailles se serrer douloureusement...
Sortie du lit, elle tendit la main pour saisir une allumette et allumer sa lampe mais la lumière s'évanouit soudain ; la maison devint sombre comme le chemin de l'Anaon.
Marie, tremblante, alluma la lampe ; son mari avait disparu...
Quelques semaines plus tard, un courrier arriva d'Islande. Elle fut avertie que la goélette sur lequel son mari était marin avait disparu corps et biens ; nous étions en 1872 mais peut-être avant, ou peut-etre après...
Brieuc avait disparu la nuit et heure même où Marie vit son mari la visiter avant le dernier voyage vers ce pays lointain que les Bretons, dans leur génie, situent au-delà de la dernière vague, au-delà de la dernière montagne et des dernières forêts, dépassé la dernière étoile...