Un soir, dans la steppe,
Quelque part,
Le col dépassé,
Une bonne heure de marche,
La rivière bruit,
Toute proche...
Profitant des dernières heures lumineuses, la femme de Ba...k prépare le tchoum ; nous restons près du feu à discuter sous ces étoiles apparaissant, furtives.
Ba...k traîne toujours sa grosse bronchite de vieux fumeur et voit sa toux chronique amplifiée depuis notre dernière rencontre...
La nuit devient encre,
Les étoiles toit.
Le froid tombe alors,
Brutalement...
Symboles et chamanismeL'heure est là.
Entrons dans le tchoum,
Mangeons un pountoutze,
Tous ensemble.
Nuit avance, heure arrive ;
Le froid se fait puissant,
Et nous emprisonne...
Sa femme allume les bougies,
Le tchoum se réchauffe,
Des figurines ornent deux petits autels: un féminin, un masculin.
Un aigle un cheval, un loup, un ours et ceux que je n'ai reconnus.
Une aile d'aigle, une peau de loup...
Trois...
Cinq, sept, neuf...
Tout est prêt...
Ba...k revêt sa tenue ; une peau...
Yeux bandés, il joue de la guimbarde dans ce tchoum, au milieu d'une steppe, au milieu du Monde ;
Le tchoum devient Univers,
Il nous voit serrés les uns aux autres,
Tels nos aïeux en temps lointains...
La guimbarde se fait envoûtement...
Nous sortons, à reculons comme il est rituel,
Ne blesser ou insulter les esprits...
Assis, dehors, sur le sol se faisant gel, nous sommes trop loin de ce feu qui se fait faible ;
Deux mètres, loin d'un feu, en tenue légère, c'est beaucoup quand le froid tombe sous zéro...
Soudain, surgissant des faibles lueurs du tchoum, Ba...k nous vient, impressionnant, majestueux, hérissé de plumes ;
Les grelots marquent ses pas,
Marquent ses gestes ;
Une ombre d'outre-monde...
Dans la pénombre...Sa femme le dirige,
Le soutient.
Il vacille,
Il s'asseoit,
Il est parti ;
Il est déjà ailleurs,
Loin...
Elle lui tend le tambour,
Homme et instrument deviennent un...
Au son de sa mélopée pénétrant l'obscurité,
Au son de ce tambour vibrant de la nuit,
il appelle son esprit.
Le son dévore cette froide obscurité ;
L'espace n'est plus ;
Le temps n'est plus,
Nous ne sommes plus ;
Et nous sommes le tout...
Il tombe soudain ;
Le tambour s'arrête,
Un silence de plomb nous assomme...
Il se met à gémir ;
L'homme n'est plus,
L'esprit est lui...
Il nous parle d'une voix rauque, jamais entendue à ce jour,
Pas la voix de Ba...k !
Depuis les premiers hommes...Sa femme l'écoute, tendrement,
Il parle, rauquement.
Temps oublié,
Temps absent...
Il se lève, tourne, revient et, l'un après l'autre, nous enserre dans les pans de cette tenue aux relents de cuir et de bête fauve. Il nous caresse la tête, nous palpe, nous sent,
Puis repart dans la nuit...
Nous sommes seuls au milieu de l'Univers...
pas une seule fois, l'homme aux bronches encombrées comme un métro parisien aux heures de pointe n'a toussé ;
Sa respiration est claire et dégagée ;
Cela m'interpelle...
Soudain, une toux encombrée troue la nuit ;
L'Esprit est parti,
Et Ba...k n'est plus qu'un homme...
Un soir, dans la steppe,
En Mongolie...
Galtsog, un soir dans la steppe
À mes enfants, petits-enfants et leurs enfants
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