Les éboulis et amas rocheux furent toujours lieux de légendes voyant souvent le Diable au premier rôle.
Lucifer, souvent surnommé le Malin, s'y fait toujours berner comme un Benêt, surnom qui lui serait certainement plus approprié.
Autrefois,
Il y a longtemps,
Peut-être hier,
Mais les faits sont certains,
Un seigneur local dont le nom s'est perdu dans les sables de l'Oubli, avait épousé une jeune femme particulièrement belle. Elle était si belle que rien ne pouvait en égaler la beauté ; elle était si belle que même les fleurs les plus délicates s'inclinaient devant elle. Cette superbe créature avait un défaut majeur, elle était aussi ambitieuse, elle était aussi fière que belle ; cela mettait son mari qu'elle aimait sincèrement, dans un embarras important car, bien que seigneur et dame de ces lieux, ils habitaient une vulgaire bicoque ouverte à tous les vents ardennais.
Un jour, un beau cavalier, chevauchant un cheval inimaginable au riche harnachement, s'arrêta devant la bicoque et engagea la conversation avec le brave seigneur ; celui-ci et sa femme invitèrent ce splendide cavalier à partager leur sobre repas. Le cavalier, habillé d'un riche pourpoint vert lui donnant l'allure d'un financier, portait chausses de soie et toque de vair ; quant à ses heuses, elles étaient d'un cuir délicat, raffiné et de grande souplesse. L'homme avait certainement bonne escarcelle et surtout belle prestance.
Repas faisant, la conversation allait bon train et notre seigneur ainsi que sa dame étaient enchantés de ce convive à l'esprit brillant et raffiné, ayant connaissance du monde si remarquable que toute la maisonnée restait sans voix. Soudain, abordant le sujet de la maison, notre cavalier demanda, avec diplomatie telle que personne ne pouvait en être blessé, pourquoi un si beau seigneur et une si gente dame habitaient un tel taudis. Le seigneur, rougissant soudain de gêne, annonça qu'il ne pouvait payer les ouvriers et maitre d'œuvre qui, comme on le sait, sont gens de haute spécialisation et, étant de grande rareté, demandent des salaires exhorbitants.
Notre brave cavalier, Lucifer de son petit nom, proposa alors au seigneur de lui construire un château comme nulle part ailleurs, doté non seulement des derniers progrès de l'époque mais aussi des progrès à venir pour les deux millénaires prochains ; tout marché ayant contrepartie, Lucifer demandait l'âme du seigneur pour rétribution.
Le diable a toujours grandes frayeurs ou fortes démangeaisons quand croix ou eau bénite se rapprochent de lui. Le seigneur, intrigué par le comportement de son hôte lors du Bénédicité et remarquant les sueurs et démangeaisons de son hôte, comprit alors avoir affaire au Diable.
Il conclut le marché mais y posa une condition: Le château devait être terminé en une nuit, et avant le premier chant du coq. Sûr de son coup et de sa puissance, Lucifer topa le marché. Le repas terminé et digestif avalé, il appela alors son maître des travaux, le grand Alzabor, et lui demanda de s'atteler à la tâche ; Alzabor donna ses ordres, et la construction fut lancée.
Les diablotins-ouvriers, les diablotins-maçons, les diablotins-carreleurs, les diablotins-plombiers, les diablotins-électriciens, tout le monde travailla d'arrache-pied toute la nuit, puis arriva l'aurore.
Il restait une seule pierre à poser quand le coq du seigneur, soit matinal, soit victime d'insomnies, se mit à chanter à tue-tête comme il le faisait tous les matins un peu avant l'aurore et depuis des années.
Dupé, Lucifer, irrité par se sourire du seigneur et se voyant berné, piqua alors une colère satanique et, jetant sa toque contre les murailles avec la violence que vous imaginez, brisa net le château qui s'écroula.
C'est maintenant ses ruines que vous pouvez maintenant découvrir en visitant le Roc de la Tour.