◎ La leçon de musique
À mes petites amies Cladel
Voici deux petites sœurs ; l'une,
L'aînée, ainsi qu'on peut le voir,
Sait jouer Au clair de la lune;
L'autre voudrait bien le savoir.
Or, la cadette, blonde et gaie,
Depuis une heure, toute en eau,
De ses mains mignonnes essaie
D'ouvrir l'énorme piano.
" Viens, Thérèse, viens à mon aide ! "
Thérèse soulève, en tremblant,
Le pesant couvercle, qui cède.
" Dieu ! le beau clavier noir et blanc !
Vois, la musique est en ivoire ! "
Dit Lili, très émue au fond ;
Puis frappant une touche noire:
" Ces noires, quel bruit elles font !
— Silence! — Oh! méchante marraine!
— Il faut, Lili, parler moins haut,
Si vous voulez qu'on vous apprenne
La chanson de l'ami Pierrot.
— Lili sera sage, Thérèse.
— Écoute alors: Do, si, la, sol...
Cette touche, c'est un dièse,
Et puis, d'autres fois, un bémol.
Quels beaux noms! il faut les écrire.
Dièse, bémol, reprend Lili.
La musique, cela fait rire ;
La musique, c'est très joli !
Thérèse, qui veut rester grave,
De son index mieux assuré
Soigneusement parcourt l'octave:
Ré, mi, fa, sol, la, si, do, ré.
Et Lili, joyeuse, l'imite :
Do, ré, ré, mi, mi, fa, sol, la...
Mais ses petits doigts vont trop vite.
Non, Lili, ce n'est pas cela
Notre chat, de ses pattes roses,
En trottant, parfois réussit
À jouer de très belles choses :
Est-il musicien aussi ?
Puis elle rit, charmante et folle,
De voir ainsi, d'entre ses doigts,
L'essaim des notes qui s'envole
Comme un nid surpris dans,un bois.
Jamais ses mains ne seront lasses :
Lili jouera toujours, toujours !
Quand soudain deux notes très basses
Vibrent avec de grands bruits sourds ;
Et Lili se bouche une oreille :
Lili n'est brave qu'à demi ;
Lili croit que sa sœur réveille
Quelque vieux tonnerre endormi.
Le piano ne veut plus qu'on joue ;
Il se fâche... Et terriblement,
Devant Lili qui fait la moue,
L'instrument gronde un long moment.
Paul Arène - écrits entre 1856 et 1896