Il y a bien longtemps,
C'était hier,
La veille du jour de l'An...
Le temps était affreux sur les terres meusiennes et il pleuvait depuis plusieurs semaines sans discontinuer. Le curé de Guebestroff - mais peut-être était-ce ailleurs ou pas loin - faisant zèle religieux et de courtoisie, se voulait porter immédiatement des livres de chants dès réception à son confère, lui aussi prêtre et habitant dans la paroisse voisine éloignée d'une quinzaine de kilomètres.
Homme de foi, il ne pouvait priver son confrère de la paroisse voisine de ces ouvrages, si importants pour la bonne tenue des ouailles de cette autre paroisse, certes bons chrétiens mais pas toujours très sages. Le facteur n'étant guère ponctuel, le colis arriva bien tardivement, en fin d'après-midi. Le brave curé ne gardait rancune au facteur, parcourir les chemin de Meuse par ces temps pluvieux, dans la boue, sans salir le courrier était tâche bien difficile et le facteur avançait en âge.
Malgré l'heure tardive, notre brave curé se décida à partir. Le soleil, si invisible derrière les nuages meusiens, était totalement invisible mais, une faible diminution de luminosité indiqua à notre curé que l'astre de lumière était couché ; le brave curé en aurait bien fait de même mais le devoir de Dieu n'attendant pas, il prit sa capeline, sa barette et sa capeline pour se mettre en route.
Sorti du village, il vit rapidement la lisière de la forêt se dresser devant lui ; il s'engagea entre les arbres avec une résolution masquant ses appréhensions. Cheminant, il fut soudain abordé non pas par un loup, non pas par deux loups, non pas par trois loups, mais par une meute de douze loups. Un bâton pour lutter contre un loup était faisable, mais un simple bâton contre douze loups était inutile ; en son fort intérieur, l'abbé accepta le destin qui se présentait à lui mais se jura de provoquer quelques plaies, bosses et horions ces loups qui se préparaient à le croquer.
Pour masquer sa peur - nous en aurions autant, il continua sa marche et vit six de ces loups doucement s'écarter de lui pour le laisser passer. Six se mirent alors à cheminer devant lui, lui ouvrant et lui montrant le chemin. Les six autres lui emboitèrent le pas, dans un calme miraculeux. Ils cheminèrent ainsi calmement jusqu'à la sortie de la forêt, lieu où les loups ouvrant la piste s'assirent sur le bord du chemin, laissant notre brave prêtre passer sans encombres.
Son confrère curé fut tout joyeux d'entendre frapper à la porte et les deux hommes, devisant gaiement, ouvrirent une de ces bouteilles de vin meusien dont le curé avait secret ; la conversation, d'ailleurs, se faisait plus joyeuse avec l'allègement de la bouteille. Vint malheureusement l'heure du retour ; les paroissiens de Guebestroff avaient besoin de leur curé. Notre bon abbé prit donc congé de son confrère et s'en retourna. La forêt était toujours là, et il fallait la traverser de retour.
La surprise du prêtre fut sans pareil quand il vit les douze loups l'attendre, bien sagement assis sur leurs pattes arrières. refusant de reculer, le prêtre s'avança et, de nouveau, six loups le laissèrent passer alors que les autres s'engagèrent sur le chemin pour le précéder. Le petit groupe ; six loups ouvrant la route, un prêtre détrempé et six loups fermant le chemin ; traversèrent alors cette grande forêt sombre, dans le silence de cette étonnante nuit, seulement troublée par les vents du mystère.
Les loups accompagnèrent l'Homme de Dieu jusqu'à la porte de son jardin. Le curé les remercia, salua leur courtoisie avec une tendresse infinie. Les loups retournèrent alors vers leur forêt, sans un hurlement, sans un glapissement, sans un bruit. Nul ne les revit jamais, seul le cœur du curé les garda en mémoire.