Depuis 3 mois, le Ministère de la Marine, des Travaux publics et de la Guerre ergote pour décharger au Hâvre les 2880 tonnes de nickel arrivées de Nouvelle-Calédonie le 17 octobre à bord de l'Amiral Halgan, trois-mâts de 3100 tonnes en lourd dérouté sur Brest pour éviter les risques dans une Manche infestée de sous-marins allemands ; la Worms se plaint d'ailleurs par courrier le 17 novembre 1917 de devoir décharger à Brest, port inadapté pour les minerais.
C'est le 9 janvier 1918, que le Barsac, affreté par Le Nickel, société hâvraise, peut enfin transborder les 4/5° de la cargaison de l'Amiral Halgan à son bord, ainsi que 390 obus qui ne seront découverts qu'en 2013-2014. Il appareilleau plus vite pour Le Hâvre.
Mis à flot le 21 juin 1902, le Barsac porte un nom de vin bordelais et, en 1902, est le plus grand navire de la Worms. long de 79.25m, large de 11.58, au creux de 6.04, il jauge 1884 tonneaux brut et 963 net pour un tirant d'eau moyen de 5.80m à pleine charge. Il file à 10 nœuds en marche ordinaire et est adapté au transports de gros et grands colis. Pour ce voyage, en plus de l'équipage civil, il voit l'escouade N° 13 commandée par l'enseigne de vaisseau Blétry monter à bord ; elle est chargée de servir les 2 canons de 95 armant le navire et visant à couler les sous-marins allemands éventuels. Un passager est signalé à bord, les quartier-maître Fégéant.
Le Barsac navigue en convoi jusqu'au Cap de la Hague puis fait route seul vers Le Hâvre. Un tropilleur le déroute à 8 milles au nord de Cherbourg et lui impose d'aller mouiller dans la rade de cette ville au prétexte du tirant d'eau du Barsac et marlgré les ordres donnés ; ce n'est que le lendemain, 11 janvier à 11 heures, que le navire reprend la mer. Il met cap sur la bouée ds sifflets du Hâvre et navigue droit ; le commandant pensant que louvoyer augmenterait les risques liés aux mines. À 14h30, il croise un convoi allant du Hâvre à Cherbourg et signale que tout va bien à bord ; tout le monde est à son poste.
À 18h35, 14 milles au NE de la bouée à sifflets du Hâvre, une torpille explose bâbord arrière ; elle est tirée du sous-marin allemand UB80, Kapitänleutnant Max Viebeg ; le navire, chargé à ras bord coule par l'arrière en 3 minutes.
Les survivants se précipitent aux canots et tentent de s'éloigner du navire en perdition. Blétry aide ses homems à mouiller un radeau puis se précipite vers la poupe pour aider ses hommes ; il sera aspiré par les remous du navire qui coule avec 6 autres marins.
Hunault, le capitaine, a pu s'accrocher à une épave et sera récupéré par la baleinière bâbord qui prendra en remorque un radeau portant 7 des canonniers de Blétry. La mer est si mauvaise qu'ils seront embarqués sur la baleinière qui comptera alors 25 hommes à bord. C'est à 0h30 qu'ils seront recueillis par le Pétrel, arraisonneur, qui les débarque au Hâvre le lendemain matin à 9 heures.
La baleinière tribord sera moins chanceuse. Commandée par le lieutenant Charles Thiébault, elle ne pourra suffisamment s'éloigner du Barsac qui sombre et sera renversée par les turbulences. Quatre hommes s'agrippent à la quille de la baleinière. Le Bars, second maître-canonnier, repêche par trois fois le second mécanicien, Le Tutour, qui lâchera prise vers 3 heures du matin. Vers 21 heures, épuisé, le matelot Chéene se laisse partir, suivi vers minuit par Daligner, chauffeur. Le Bars reste seul ; il sera repêché à 10 heures du matin par un patrouilleur anglais qui le déposera au Hâvre pour hospitalisation. Il aura tenu 16 heures !
Adrien Dérudier, second capitaine, s'étant réfugié sur le youyou du Barsac et se retrouve près du sous-marin émergé qui patrouille la zone ; celui-ci ne le verra pas à sa grande satisfaction. Deux chalutiers ne pasent pas loin mais le voient pas, tout comme ce navire anglais passant au petit matin. C'est à 9h30 que le torpilleur Harpon recueillera le naufragé ; Dérudier était sauvé.
20 marins et militaires disparaîtront lors du naufrage. La Worms perdra 7 hommes et l'escouade verra 13 hommes engloutis par les flots. L'Enseigne de Vaisseau William Blétry sera décoré à titre posthume de la Croix de la Légion d'Honneur et de la Croix de Guerre avec palme. Il sera aussi cité à l'ordre de l'Armée pour s'être courageusement dévoué au sauvetage de ses hommes jusqu'à être victime de son devoir et dévouement.
Les 12 disparus de l'escouade furent tous décorés de la Croix de Guerre avec Étoile de Vermeil ; ils s'appelaient Boucron, quartier-maître ; Chauvel, quartier-maître ; Le Hénaff, quartier-maître ; Maupas, quartier-maître ; Boucron, quartier-maître ; Riou, quartier-maître ; Fégéant, canonnier ; Goavec, canonnier ; Le Bihan, canonnier ; Haupais, matelot ; Le Goff, matelot ; Prigent, matelot ; Tauzia, matelot.
Les 23 survivants, 5 de la Royale et 18 marins de commerce, verront le capitaine Hunault cité à l'ordre de l'Armée pour avoir montré de belles qualités d'énergie, de courage, de sang-froid et pour avoir assuré l'évacuation de son équipage. Le second capitaine, Adrien Dérudier, sera cité à l'ordre de la Division pour son esprit de devoir et de commandement, ainsi que pour avoir refusé de prendre place à bord de sa baleinière pour cause du surpoids. Pierre Le Bars, second maître-canonnier, sera cité à l'ordre de l'Armée et proposé au grade supérieur pour courage, esprit de devoir et dévouement.
Né le 6 avril 1887 à Rôssel, en Prusse Orientale, le Kapitänleutnant Max Viebeg décèdera le 9 novembre 1961.
Lors du premier conflit mondial, le Kapitänleutnant Max Viebeg et ses équipages couleront 50 navires pour un tonnage de 79.748 tonneaux ; ils endommageront 10 bateaux avec un total de 49.140 tonneaux et saisieront un bâtiment de 1.047 tonneaux. Il s'engagea en 1906 comme cadet, passera enseigne de vaisseau en 1907, sous-lieutenant en 1909, lieutenant en 1912, lieutenant de vaisseau en 1917. il quitttera la marine allemande le 28 janvier 1920. Il commanda 5 sous-marins dont le U80
L'épave gît par 40 mètres de fond en Baie de Seine. En 2014, il fut découvert une cargaison non signalée de 390 obus dont 200 de 90 et 190 de 75. Vidée de ses explosifs, l'épave a été de nouveau autorisée aux plongeurs.