■ Hiver cruel
Abriès, 12 mars - Le cruel hiver que nous venons de traverser a été particulièrement dur pour les pauvres gens qui habitent les pays de montagne. Les facteurs des postes surtout ont été fort éprouvés. Quelques-uns sont, même restés ensevelis sous des avalanches, tel le facteur Blanc, d'Abriès dont Le Temps nous raconte la triste fin.
Sur le chemin d'Abriès à Bobbio quelques mètres, avant d'atteindre le col de la Croix - 2,300 mètres - séparant la France de l'Italie, est un refuge national construit sous le Premier Empire. Jadis, excellent poste d'observation sur la haute vallée de Guil et sur le Val Felice, il était confié à la garde d'un cantonnier marié. Mais, soit incurie, soit complaisance du cantonnier ou de la cantonnière, nos voisins d'au delà des Alpes ne se gênaient point pour profiter des avantages de ce poste et venir nous observer. Aussi, depuis quelques années, les inspecteurs militaires ont-ils substitué au ménage, deux gendarmes chargés d'ouvrir l'œil.
Le refuge était, approvisionné tous les deux jours parle facteur Blanc, d'Abriès, qui portait lettres et nourriture aux gendarmes, à trois heures de marche. Or, fin janvier, la neige tomba en telle abondance que les couloirs presque verticaux qui accèdent au col de la Croix furent comblés en une nuit. Blanc, néanmoins, voulut faire l'impossible, et monta quand même. On ne le vit pas revenir.
Le lendemain, on se mit à sa recherche. On découvrit, enseveli sous une avalanche, au bas d'un couloir, le cadavre de ce malheureux.
Mais le pis, c'est que, depuis lors on n'a pu accéder au refuge, malgré de multiples tentatives. Les deux gendarmes, de là-haut, téléphonent désespérément. Ils ont bien encore quelques boîtes de conserves, mais ni pain, ni sel, ni bougies, ni allumettes, ni tabac. Sitôt que la nuit tombe, ils ne connaissent que l'obscurité. Dans quelle anxiété ils doivent être, ces humbles gardiens du refuge !
Tous les jours, dans le Queyras, la neige tombe par quantité considérable. Ce terrible état de captivité peut durer un mois encore, deux peut-être, et l'on se demande si les emmurés — enneigés — du col de la Croix y résisteront.
Nous espérons que des mesures seront prises pour mettre fin aux souffrances de ces victimes du devoir. Quant aux facteurs montagnards dont le zèle et le courage sont au-dessus de tout éloge, il appartient au ministre des postes de leur accorder les justes récompenses que ces modestes serviteurs ont si bien méritées.
LE PETIT JOURNAL - 17 mars 1895
La presse du passé est passionnante !
Regorgeant d'anecdotes ou de faits-divers, parfois croustillante, souvent sordide, parfois amusante, elle nous permet de ressentir la manière de pensée de nos aïeux, de ceux qui ont vécu en cette commune, en ce territoire, de ceux qui l'ont fait vivre et que nous visitons.
La presse passée redonne vie aux simples citoyens, à ces gens qui n'auront jamais nom en livres d'histoire.
Il est plaisant d'y voir l'évolution des importances: en 1900, le commissaire fait une enquête pour un vol de jambon.
La violence est importante: violences ménagères ou non sont courantes, violences villageoises, banditisme ou non aussi ; les comptes se règlent à coups de poings, de bâtons ou autres armes.
Les cuites sont monnaie courante et pas exclusives de certaines régions: nombre de nos aïeux - ayant sans doute très soif, picolent sec !
Un prix spécial devrait être décerné à certains journalistes de cette presse ancienne: les coupures concernant les cuites et amendes en découlant sont parfois d'un humour extraordinaire.
Nous ne pouvons que vous conseiller de lire et acheter la Presse: vous la ferez vivre et imprimerez l'Histoire !